Les défis de l'Europe
Manuel de Diéguez
Le 20 juillet, je décrivais la balsamine qu'on appelle poliment l'anthropologie politique. Cette belle effarouchée ressemble à la sainte-Nitouche qui dit à tout le monde: "Ne me touche pas". J'annonçais également que, le 31 août, j'exposerai quelques rudiments d'une anthropologie dont l'audace irait jusqu'à traiter du sujet, à savoir la bête du rêve, du sang et de la mort.
Les évènements de l'été se sont révélés propices à un projet aussi intrépide. La vassalisation de l'Europe a été plus cruellement démontrée que jamais par la descente de la police de Londres dans les sous-sols où le Guardian cachait les disques durs de la Stasi américaine à laquelle feu la fierté anglaise se trouve désormais asservie.
Mais, le 30 août, le parti travailliste anglais, soutenu par les suffrages inattendus de plusieurs dizaines de députés du parti au pouvoir, ont purement et simplement interdit à l'Angleterre de s'aligner, une fois de plus, sur les Etats-Unis et d'aller bombarder la Syrie dans leur sillage. La veille, la chambre des lords avait affiché la même récalcitrance à perpétuer la vassalisation de la nation, ce qui était explicable chez des aristocrates, mais ce qui l'était moins, c'était que l'Etat le plus satellisé par les Etats-Unis et par Israël depuis la fin de seconde guerre mondiale, le Canada, affichât subitement la même volonté d'émancipation de la tutelle de la Maison Blanche.
Le 13 juillet, j'avais annoncé que les vrais acteurs de la pièce allaient très prochainement débarquer sur la scène - c'est-à-dire qu'on verrait monter sur les planches les protagonistes qui, depuis 1949, se cachaient dans les coulisses du théâtre. Car la guerre froide avait permis à Washington d'occuper l'Europe qu'ils avaient quittée depuis 1945 et de s'y incruster à jamais.
Dès le lever du rideau, il a été révélé que l'histoire réelle du monde se trouvait autrefois effacée par l'immersion des évènements dans l'eau de rose de la foi. On apprêtait Clio ad usum Delphini. Maintenant l'eau de rose se trouvait entre les mains d'un nouveau corps sacerdotal, composé des trois ordres de la presse officielle, de la radio d'Etat et de la télévision de masse; mais les gouvernants occupaient un nouveau Vatican, celui d'une papauté démocratique parcellisée et qui leur permettait de défendre en public le nouveau badigeonnage des évènements. Le mythe du salut et de la délivrance voyait maintenant les idéalités du Beau, du Juste et du Bien traverser le ciel de la Liberté à tire d'aile.